Une enseignante dans un collège classé REP de l'académie de Grenoble
raconte son étrange journée
Publié le 09/01/2015 à 11:34
Minute de silence incomprise, parfois méprisée, provocation..., une
enseignante dans un collège classé REP de l'académie de Grenoble raconte son
étrange journée.
L'Éducation
nationale a demandé aux professeurs de faire respecter une minute de silence. ©
THIERRY ZOCCOLAN / AFP
Le matin du 8 janvier, nous avons reçu un courrier de notre ministre qui
nous rappelait que l'école était là pour transmettre les valeurs de la
République. En tant que professeurs, nous avons pour mission d'expliquer à nos
élèves les faits, de les faire réfléchir, de les aider à comprendre.
"Pourquoi respecter une minute de silence pour des gens que je ne
connaissais pas ?"
J'ai d'abord eu un échange avec ma classe de 5e, composée de collégiens de
12 ans en moyenne. Ils étaient très silencieux. Sauf un qui m'a demandé :
"Pourquoi respecter une minute de silence pour des gens que je ne
connaissais pas ?" J'ai trouvé cette réaction violente. Ses camarades ont
été choqués également. Ils sont jeunes, sans doute plus émotifs que leurs
aînés. Je voyais que cet élève faisait semblant, il ne pesait pas ses mots. Il
était dans la provocation.
J'ai rappelé les faits en commençant pas l'évidence : on a tué des êtres
humains. Pour que la minute de silence soit ensuite respectée, j'ai dû
"plomber l'ambiance", sinon ça n'aurait pas fonctionné. Je leur ai
dit : "Vous vous rendez compte que les victimes sont parties hier matin en
disant à tout à l'heure à leur famille ?" Il fallait éviter que
d'autres s'amusent à jouer les caïds pour épater la galerie pendant ce moment
de recueillement. Après la minute de silence, j'ai senti une lourdeur s'abattre
sur la classe donc j'ai décidé de passer à autre chose. Je venais de voir
quelques-unes de mes élèves de confession musulmane debout, la tête baissée,
presque gênées, pour elles, pour leurs familles, ça doit être dur de voir
certains faire l'amalgame.
Quant à ce qui s'est passé dans ma classe, cette provocation, ce n'est rien
à côté de ce que certains de mes collègues ont dû affronter. Durant la minute
de silence, dans les autres classes, il y a eu plusieurs expulsions d'élèves,
les uns parlaient, disaient des choses affreuses, les autres rigolaient. Un
petit de 6e de confession musulmane a carrément refusé de respecter la minute
de silence. Tous ces élèves un peu "retors" ont été envoyés chez le principal
de l'établissement et chez l'infirmière scolaire pour entendre un discours
différent de celui qu'ils entendent sans doute chez eux.
En début d'après-midi, j'ai accueilli une classe de 4e. Ils sortaient d'un
cours de français pendant lequel ils avaient entamé un vif débat sur le sujet.
Ils étaient bruyants, agités, je leur ai proposé qu'on poursuive le débat
pendant mon cours. Certains jugeaient cet acte effroyable, traitaient les
terroristes de "barbares". Mais un élève a commencé à exprimer son désaccord.
J'ai ensuite remarqué qu'une autre assise au fond de la classe attendait
sagement main levée qu'on lui donne la parole.
"On ne va pas se laisser insulter par un dessin du prophète"
"Madame, me dit-elle, on ne va pas se laisser insulter par un dessin
du prophète, c'est normal qu'on se venge. C'est plus qu'une moquerie, c'est une
insulte !" Contrairement au précédent, cette petite pesait ses mots, elle
n'était pas du tout dans la provoc. À côté d'elle, l'une de ses amies, de
confession musulmane également, soutenait ses propos. J'étais choquée, j'ai
tenté de rebondir sur le principe de liberté et de liberté d'expression. Puis
c'est un petit groupe de quatre élèves musulmans qui s'est agité :
"Pourquoi ils continuent, madame, alors qu'on les avait déjà menacés
?"
Plusieurs élèves ont tenté de calmer le jeu en leur disant que Charlie
Hebdo faisait de même avec les autres religions. Leur professeur de
français avait eu l'intelligence de leur montrer les unes de Charlie
pour leur montrer que l'islam n'était pas la seule religion à être moquée. Mais
ils réagissent avec ce qu'ils ont entendu à la maison.
Tout cela a divisé les élèves
Ce qui me désole, c'est la fracture que cet événement tragique a créée dans
des classes d'habitude soudées. Tout cela a divisé les élèves. Il régnait
aujourd'hui une ambiance glauque, particulière. Cette classe de 4e sympa,
dynamique, était soudain séparée en deux clans. Les communautarismes ont
resurgi d'un coup. Et ça me fait peur pour la suite.
L'école doit transmettre nos valeurs, mais on est parfois un peu trahis par
les parents. On apprend les principes républicains aux enfants, mais une fois à
la maison ils en font bien ce qu'ils veulent. Ils n'ont plus confiance en nous,
professeurs. Ils ne nous prennent pas pour des alliés, mais pour des ennemis.
En tant que prof, tu te demandes ce qu'ils peuvent penser de toi, de nous
enseignants, nous qui avons la foi de leur apprendre. Nous avons devant nous
des jeunes citoyens qui ont des idées telles qu'on est obligé de se demander :
"Où allons-nous ?"
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